La Tunisie, entre des ingérences externes et des malveillances internes
Moktar Lamari
En cette fin année, le paysage politique en Tunisie est anormalement tendu et incertain, avec deux vents contraires qui s’affrontent. D’un côté il y a ces « forces » étrangères et ces ingérences externes, qui agissent de mèche avec une frange de l’opposition libérale à l’interne pour mettre de l’huile sur le feu. Et de l’autre, cette Tunisie fragile qui se démène pour se défaire de l’emprise occidentale, aidée en cela par l’affaiblissement de l’ordre mondial dominant.
En cette fin année, le paysage politique en Tunisie est anormalement tendu et incertain, avec deux vents contraires qui s’affrontent. D’un côté il y a ces « forces » étrangères et ces ingérences externes, qui agissent de mèche avec une frange de l’opposition libérale à l’interne pour mettre de l’huile sur le feu. Et de l’autre, cette Tunisie fragile qui se démène pour se défaire de l’emprise occidentale, aidée en cela par l’affaiblissement de l’ordre mondial dominant.
Comment comprendre ces tensions? Comment expliquer ce qui se trame en Tunisie ces dernières semaines ? Décryptage…

Récemment les ingérences européennes en Tunisie se sont intensifiées et se sont dévoilées au grand jour. Ces ingérences culminent avec la visite de l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) au siège de l’Union des Travailleurs (UGTT) pour appuyer les grèves et pressions en gestion par la centrale syndicale. Les clashs se multiplient avec un timing concerté et plutôt inquiétant, alors que l’économie retrouve des couleurs.
1- Lames de fond
Pour comprendre le contexte, on retient trois postulats factuels, décrivant les lames de fond.Premier postulat : le pouvoir de Kais Saïed s’essouffle et s’use après 6 ans de pouvoir présidentiel. Ce pouvoir légitime et encore très populaire semble hésiter et s’embourber parfois dans des décisions inexpliquées avec des postures inattendues.
Deuxième postulat, des signes évidents montrent un début de redressement économique en Tunisie, tant pour la croissance, l’inflation, la cote du crédit, le déficit budgétaire. Constituant des chocs exogènes, les tensions politiques actuelles ne peuvent qu’altérer la délicate reprise, donnant ainsi des arguments à l’opposition.
Troisième postulat a trait au fait que l’Union européenne est de plus en plus fragilisée dans son pouvoir hégémonique en Afrique, tellement affaiblie par la guerre en Ukraine et la guerre commerciale menée par Trump. L’UE est tentée par des ingérences dans des pays stratégiques comme la Tunisie, avec de plus en plus d’échec avec des pays comme l’Algérie et un grand nombre de pays de l’Afrique subsaharienne… Trump ne cache plus son hostilité à l’égard des élites européennes, à qui ils reprochent leur déni de la liberté d’expression, entre autres.
2- L’UGTT en quête de soutien occidental
Ce n’est qu’en considérant ce décor instable, qu’on peut comprendre les logiques et les rationalités des acteurs en jeu. Une coalition tripartite est à l’œuvre, impliquant :i) d’abord les maillons affaiblis de la chaine des oppositions au régime de Kais Saied (y compris l’UGTT),
ii) ensuite ces chancelleries occidentales et ces groupes de pressions (ONG) directement concernés par les choix politiques en Tunisie, et
iii) le tout appuyé par une meute de médias franco-français (AFP, LeMonde, Jeune-Afrique, Mediapart, LePoint, Le Figaro, pour nommer que ceux-ci). Ces médias à la solde du gouvernement français font tout pour imposer leur agenda et refaçonner l’opinion publique tunisienne (et de la Tunisie à l’international), pour précipiter la déroute de la « Tunisie de Kais Saied », et maintenir le statu quo.
Au-delà de tout ce qui se dit, de vrai et de faux au sujet de la personnalité, du « populisme » et du prétendu « pouvoir absolu » du président Kais Saied (en mi-deuxième mandat), c’est la volonté de maintenir la Tunisie sous le joug d’influence de la France d’abord, et ensuite de l’Union européenne, qui est le véritable leitmotiv et véritable enjeu du bras de fer et des tensions actuelles.
C’est ainsi qu’on peut expliquer le soutien fait l’ambassadeur de l’UE au chef contesté de l’UGTT, et le vote-sanction du Parlement européen, qui instrumentalisé l’affaire d’une simple chroniqueuse ayant été condamnée pour « insulte publique à la Tunisie » et refus répétés de répondre à des convocations des Juges examinant des plaintes contre elle.
3- Le triangle des Bermudes
Ce qu’on constate est simple : entre certaines chancelleries représentées en Tunisie et certaines oppositions à la solde de la France, c’est de facto, une connivence stratégique dans ses finalités et une coordination opérationnelle dans ses actions et moyens.Une coalition tripartite dont l’objectif est de nuire, à tout prix.
Tout y est pour décoder la stratégie à pied d’œuvre: synchronisation, ping-pong entre médias français et mouvements des « opposants » présumés à Tunis, et déploiement des chancelleries occidentales pour redistribuer les cartes, les appuis et les rôles.
Sans parler des ordres qui viennent de Paris où séjournent des ex-ministres (au moins deux ex-présidents) des gouvernements de la décennie noire dominée par les Islamistes, en Tunisie entre 2011 et 2021.
Un genre de triangle des Bermudes se dessine pour engluer encore une fois cette Tunisie fragilisée et qui veut s’émanciper de ses déments et apesanteurs colonialistes de toujours.
Un triangle fait d’abord, de certains maillons de l’opposition dirigée par l’UGTT, relayée ensuite par des diplomates étrangers et experts qui troquent leur appui et enfin les médias franco-français qui inondent l’opinion publique par des informations faites sur mesure pour couler davantage le branding de la Tunisie et pour mettre le maximum de pression sur son économie, déjà à genoux, le tout pour maintenir le statu quo et rapports de dominations existants.
Des stratégistes célèbres et spécialistes des « troubles » dans le monde arabe, sont aussi mis à contribution. Il suffit de penser à Bernard Henri Levy qui a contribué à faire éclater en deux pays, la Libye voisine. Celui-ci est directement impliqué dans les derniers complots traités par la justice tunisienne.
4- Le matraquage médiatique français
Pour comprendre la situation, nous devons sortir du verbiage lié aux « droits de l’homme », aux « libertés de presse » et de la « démocratie ». Un verbiage bidon utilisé comme vitrine factice par les diplomates et médias européens, et destinée aux plus naïfs de la petite intelligentsia nantie et pro-occidentale des quartiers riches de Tunis.On fait remuer et manipuler les supposés opposants et on crie au loup, pour faire mousser la tension interne et en tirant les ficelles de l’extérieur, à tour de rôle de Paris, de Rome, de Tel-Aviv, de Washington, et même de Rabat.
Pour dire les choses de manière plus concrète, la rencontre entre le chef actuel de l’UGTT (M. Taboubi) et l’ambassadeur de l’Union européenne fait partie du scénario voulant demander de l’aide européenne pour renverser le régime ou du moins précipiter la chute du pouvoir actuel en Tunisie. M. Taboubi et son collège de « mandarins » sont pris dans une suite de décisions (contre le régime et indirectement contre l’ conomie) qui ne peuvent que remettre en cause leur légitimité et leur intégrité.
En politique comme dans la théorie économique des jeux: chaque coup prépare le suivant dans une suite logique et avec une anticipation rationnelle.
Les coups sont synchronisés et tout est calculé. Les dossiers des prétendus journalistes d’opinion (avocat et lobbystes), les dossiers de certains avocats condamnés pour des infractions vérifiées…et on multiplie les appels au secours.
Les médias français en raffolent de ces dossiers pour casser le sucre sur le dos de la Tunisie, ruiner son économie, altérer ce qui lui reste de branding pour attirer les investisseurs et accueillir les touristes. Les médias franco-français se jettent dans la bataille comme jamais, et tant pis pour la rigueur et l’éthique. Tout est question d’intérêt, de mandat et de mandant, donnant-donnant.
Les deux dernières semaines, plus de 110 articles de journaux défavorables à la Tunisie de Kais Saied ont été publiés par des médias français. Des articles donneurs des leçons et utilisant les superlatifs requis pour mousser l’image des contestataires et élites tunisiennes condamnées pour corruption et/ou complot.
Ces médias distribuent les titres et les attestations de militants démocrates pour les alliés de la France et qualifient leurs opposants d’autocrates ou même de fascistes.
La réalité s’est avérée n’être qu’une interface médiatique qui est utilisée à des moments, obscurcie ou occultée à d’autres moments.
Quant à la liberté d’expression et les « droits de la personne », les médias franco-français n’ont pas de leçon à donner. Nous avons tous vu lors des massacres de Gaza : ce silence médiatique et politiques européens. Le règne du deux poids, deux mesures n’est plus à démontrer. Une connivence médiatique et une déliquescence journalistique avérée qui enlèvent tout honneur et toute crédibilité aux principaux journalistes de ces médias occidentaux cités précédemment.
Certains médias tunisiens gardent le silence et d’autres sont tenus en haleine par des petits subsides, visas privilèges distillés par les ambassades européens. Leur rôle c’est de surfer sur l’actualité, traduire les messages de Paris.
Chaque ambassade a ses médias et ses « protégés » parmi ces opposants à la solde et intéressés par la célébrité que leur procurent les médias français.
5- Fébrilité européenne
L’Europe est nerveuse et n’apprécie pas trop les tangentes prises par la Tunisie a changé. La Tunisie a commencé à se débarrasser de la dépendance classique de Paris et de Bruxelles. Son président et son gouvernement actuels ne sont plus aussi dociles que ce qu’auraient aimé Paris et Bruxelles.Pendant des décennies, les intérêts de l’Europe ont été dictés pour :
Contrôler la décision politique en Tunisie, en contrepartie de financements, de prêts et privilèges ciblant les élites, au cas par cas.
Contrôler des dossiers d’immigration et influencer les relations de la Tunisie avec le reste du monde (Russie, Chine, Algérie, Iran, etc.).
La Tunisie de Kais Saied agit autrement. Elle cherche d’autres partenaires internationaux, et tente de se dissocier progressivement des collaborations aliénantes du FMI et pays régissant les Accords du Bretton Woods. Cette Tunisie-là déplaît aux occidentaux, qui n’aiment pas ces renoncements aux diktats de l’Union européenne et volonté d’adhérer à un nouvel ordre mondial qui se dessine ça et là, par à-coups et démarches aléatoires. Avec un tropisme évident pour la Chine, la Russie, entre autres puissances mondiales intéressées par la Tunisie, comme pont pour l’Afrique. Francophones.
La Chine, la Russie et d’autres pays asiatiques sont entrés en ligne de compte, avec à la clef, des intérêts stratégiques de la Tunisie.
La Chine n’exige pas d’idéologie ou d’allégeance politique particulière, mais offre plutôt des aides stratégiques pour la Tunisie : Infrastructure, Partenariats technologiques, Grands projets et cela signifie autant de perte de marché et d’influence politique de l’Europe en Tunisie.
Les bénéficiaires internes de la générosité des ambassades européens présentes à Tunis sont aussi des associations et des groupes d’intérêt. Beaucoup d’acteurs politiques et d’opposants sont biberonnés par les dons des ambassades et structures liées. Ils se sentent ainsi plus forts en valorisant ces financement et « proximité » des pouvoirs occidentaux à Tunis.
Les tangentes prises par le pouvoir de Kais Saied ont commencé à déranger un grand nombre de ces ONG et « opposants politiques » financés par l’UE et relais, les amenant à signifier leur colère et ras-le-bol aussi.
Tout un écosystème, fait d’organisations, de lobbystes, de médias, de partis qui étaient autrefois un levier de pression et de mise en œuvre d’agendas français et européens a commencé à vaciller et à voir le vent tourner.
Il est naturel que les parties extérieures se défendent ne voulant pas céder et c’est de bonne guerre. Une lutte politique compréhensible pour des intérêts de pays. Mais le problème tient plus à leurs relais locaux qui ne saisissent pas rapidement tous les jeux et enjeux transitionnels en cours.
La Tunisie pour la première fois depuis des décennies dit aux Européens: « Notre décision est souveraine, nous ne sommes plus un back-office pour vous. ».
6- Le double langage
L’Europe n’a pas peur de la « disparition de la démocratie », mais craint la disparition de son influence. Les élites européennes n’ont pas peur pour les « droits de l’homme », comme en témoigne leur silence complice avec Israël et qui le génocide des Palestiniens de Gaza. L’UE est déjà en alliances et renforcement avec d’autres régimes autoritaires et donc les élections et les mandats des présidents sont bafoués aux grands jour (cote d’ivoire, Madagascar, Gabon, gypte, etc.).L’Europe reste malgré tout un bloc hégémonique à ambitions colonialistes, n’hésitant pas de fomenter les coups d’ tat les plus sanglants pour installer les siens au pouvoir en Afrique notamment.
Ce que l’Europe craint c’est que la Tunisie sorte totalement de l’emprise de l’obéissance aux injonctions européennes, une fois pour toute. Et ce qui se passe actuellement ressemble bien à ce scénario cauchemardesque au regard de nombreux dossiers : migration, présence de la Russie, alliance militaire avec l’Algérie.
L’UE veut défaire cette tendance, l’avorter par tous les moyens, y compris le complot et les coups d’ tat. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les campagnes médiatiques, de fausses nouvelles, de dénigrement ou d’hostilité de tout ce qui peut aider la Tunisie à sortir du statu quo et de l’emprise française surtout.
Ce sont des outils de pression, pas de moralité et sans valeurs éthiques derrière eux.
Pour résumer l’Europe n’est pas perturbée par les incertitudes des « chocs démocratiques », mais par l’émergence des ambitions de souveraineté et de repositionnement stratégique de la Tunisie. Elle n’est pas nerveuse à propos des droits de la personne, mais par la perte de contrôle des relais au pouvoir et instituions décisives.
7- Cette opposition à la solde des ambassades
Pour l’instant, il y a une fracture persistante entre cette opposition docile et instrumentalisée par les ambassades et médias français, et le reste de la population tunisienne qui adhère plus ou moins aux approches souverainistes et rigoriste du chef de l’ tat. Comment cette opposition morcelée, peu ancrée et biberonnée par les dons l’occident peut-elle sortir de son isolement et mériter la confidence des Tunisiens ?Beaucoup de ces opposants sont qualifiés de larbins, ayant les mains sales, certains se sont enfouis, d’autres exilés ont perdu leur honneur, n’arrivent plus à mobiliser, à convaincre encore moins à façonner une alternative défendable et acceptable par les citoyens et électeurs, le jour du vote.
Cette opposition-là fait face à problème à trois dimensions.
Un, ces leaders ont montré leur penchant pour l’argent facile et l’enrichissement rapide, tous les moyens sont bons, y compris le recours aux actes de corruption.
Deux, l’opinion publique a de manière générale un portrait très négatif de ces opposants-larbins et capables de trahir les intérêts de leur communauté.
Trois, certaines élites de cette opposition gonflée au botoxe fonctionne par les petites phrases sur Facebook, jamais avec des chroniques écrites et capacités analytiques qui imposent le respect et la confiance.
Il y a tout un discours officiel, partagé par les élites intègres, qui dénigre ces «opposants vendus» aux ambassades et à Paris, coupables de la ruine du pays durant la période 2011-2021 et de plus en plus inféodés aux intérêts stratégiques des lobbys sionistes ou impérialistes.
L’opposition a du mal à s’arracher à cette image négative. L’UGTT a perdu de son aura à cause de ses liens douteux avec les ambassades et assimilés. Cette institution est mal prise et n’arrive pas à se défaire de ses approches féodalistes favorisant les amis, la famille et les petites affaires.
Pour autant, est-ce que le peuple veut vraiment de ce que le président Kais Saied lui offre comme résultats tangibles et concrets pour améliorer son bien-être ?
Pas certain, tout se jouera sur le terrain de l’économie: pouvoir d’achat, création d’emploi, amélioration du service public.
La Tunisie mérite mieux.










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