Réformes ou Chaos ? L’Administration et les Jeux de Pouvoir
Hatem Boulabiar
Je viens de lire un livre passionnant "Les lois fondamentales de la stupidité humaine" de Carlo Cipolla. C’est un historien italien spécialiste de l’économie. Il a eu une intuition presque agaçante de simplicité : quand on veut comprendre le comportement humain, il ne faut pas regarder les belles intentions, ni même l’intelligence affichée ni les diplômes. il faut regarder le bilan net des conséquences. Cipolla décrit quatre types humains en fonction du bilan de leurs actions et de l'impact qu'elles ont sur eux-mêmes et les autres. Voici les quatre types :
Je viens de lire un livre passionnant "Les lois fondamentales de la stupidité humaine" de Carlo Cipolla. C’est un historien italien spécialiste de l’économie. Il a eu une intuition presque agaçante de simplicité : quand on veut comprendre le comportement humain, il ne faut pas regarder les belles intentions, ni même l’intelligence affichée ni les diplômes. il faut regarder le bilan net des conséquences. Cipolla décrit quatre types humains en fonction du bilan de leurs actions et de l'impact qu'elles ont sur eux-mêmes et les autres. Voici les quatre types :
1. Les intelligents : Ils sont à la fois bénéfiques pour eux-mêmes et pour les autres. Leur intelligence leur permet d'atteindre leurs objectifs tout en aidant ceux qui les entourent.
2. Les bandits : Ces personnes sont bénéfiques pour elles-mêmes, mais elles nuisent aux autres. Leur principal but est de tirer profit des autres sans se soucier des conséquences.
3. Les idiots : Ceux qui nuisent à la fois à eux-mêmes et aux autres. Ils sont imprévisibles et leurs actions, souvent absurdes.
4. Les naïfs : Ces individus sont bénéfiques pour les autres mais se nuisent eux-mêmes. Ils sont souvent trop généreux ou crédules.
J’ai appliqué la règle de Cipolla aux responsables politiques. Ces derniers arrivent au pouvoir avec une idée en tête : “Je vais changer les choses.”
Sauf qu’entre la décision et la vie réelle, il y a un monde : l’administration. Une gigantesque créature profonde (الدولة العميقة ) faite de bureaux, de procédures, de formulaires, de logiciels capricieux, de chefs de service, de chaouches... Une machine qui peut être le moteur, ou le grain de sable dans les engrenages.
Alors voilà la règle du jeu :
Le responsable appuie sur un bouton. L’administration traduit ce bouton en milliers de micro-actes. Et le peuple, lui, ne juge pas le discours : il juge le résultat.
Acte I — Quand tout le monde gagne (le “responsable intelligent”)
Le responsable intelligent ne confond pas politique et incantation. Avant d’annoncer, il descend au sous-sol du système (couche hardware dirait mes amis IT): il va voir les gens qui exécutent. Il demande : “Qu’est-ce qui bloque ? Qu’est-ce qui manque ? Qu’est-ce qui est trop flou ?”Il écrit la règle pour qu’elle soit exécutable. Il fixe un objectif clair, des indicateurs simples, et surtout une règle sacrée : “Si les faits me contredisent, je corrige.”
Il agit comme l’operating system de cette administration. Il doit se comporte telle une machine de prise de décisions dans ce gigantesque mammouth administratif (663 mille agents et bientôt 687 mille à partir de 2026). Chaque jour une dizaine de décisions structurantes devraient être prises. En ayant conscience que ce n’est pas du Coran. 2 ou 3 parmi elles devraient être annulées le plus tôt qu’un indicateur contredit les objectifs sans aucun état d’âme. Exemple, la nouvelle loi sur les chèques. Les chiffes de la banque centrale depuis juin ont montré une remontée du cash. Et un ralentissement des transactions commerciales. Elle aurait dû être retirée aussitôt.
L’administration, cette fois, accroche. Elle comprend, elle peut, elle a intérêt à réussir : c’est la traction.
Résultat : le peuple voit un changement réel. Le responsable récolte aussi, parce qu’il n’a pas “volé” une victoire : il l’a co-construite.
Acte II — Quand le chef gagne et le peuple paie (le “bandit”)
Le bandit, lui, a aussi compris la machine… mais il l’utilise comme une pompe.Il sait que l’administration peut être ultra efficace, alors il met de l’huile exactement là où il faut : nominations, réseaux, budgets, priorités. Et soudain, miracle : la machine tourne comme une horloge.
C’est le cas du régime Ben Ali : « كفاءة مع فساد ». Ici l’arabe exprime mieux l’idée.
Les bénéfices montent vers le haut, vers le clan, vers les amis, vers les zones protégées. Le peuple reçoit les coûts : impôts injustes, services qui se dégradent, règles qui favorisent quelques-uns.
Acte III — Quand les bonnes intentions se font broyer (le “naïf ”)
Le naïf arrive avec une belle idée. Morale. Populaire. Sincère.Et il pense que l’administration, parce que c’est “l’ tat”, va naturellement exécuter.
Mais l’administration écoute et se dit : “Ok… mais avec quels moyens ? avec quel texte ? quelle procédure ? quel calendrier ? et qui prendra le risque si ça tourne mal (article 96 du code pénal)”
Le naïf n’a pas de réponses solides. Il y a du flou. Il y a des injonctions contradictoires. Il y a une surcharge.
Alors la machine fait ce que font les machines quand le plan est bancal : elle se protège. Elle exécute au minimum légal. Elle ralentit. Elle interprète de façon restrictive. Pas forcément par méchanceté — parfois juste par survie.
Acte IV — Quand tout le monde perd (le “stupide” au sens Cipolla)
Et puis il y a le plus dangereux : celui qui produit du malheur sans même en tirer un vrai bénéfice.Il change les règles sans plan. Il annonce pour paraître fort. Il improvise. Il politise la machine. Il remplace des compétences par de la loyauté. Il crée des contradictions. Il lance trois réformes qui se marchent dessus.
L’administration, frappée par le chaos, passe en mode survie : elle ne cherche plus à réussir, elle cherche à ne pas couler. La friction devient structurelle. Même les décisions correctes deviennent difficiles à appliquer parce que le système est fatigué, méfiant, démotivé.
La morale :
chaque annonce politique, il y a une question cachée :
Est-ce que l’administration va mettre de la traction… ou de la friction ?
Dans cette histoire, le peuple juge la fin du film. L’administration écrit la moitié du scénario.
Et le responsable, selon qu’il comprend ou non cette dynamique, finit héros, bandit, victime… ou fossoyeur de sa propre promesse.





Comments
0 de 0 commentaires pour l'article 320222