Slim Bouaziz (Grand maître international d’échecs) , L’empereur de l’échiquier
Des cheveux poivre et sel agrémentant de tempérament son éternelle fraîcheur, des yeux bleu océan, un regard pétillant, un génie au- dessus de tout soupçon, et cerise sur le gâteau : un sourire permanent. C’est l’un des hommes qui font la fierté de notre pays, un soldat qui n’a peur ni des batailles ni des combats, un homme qui a hissé haut le nom de la Tunisie avec seulement seize pièces et un échiquier…
Dans le jeu des échecs, Slim Bouaziz est une référence aussi bien pour les profanes que pour les érudits, au pays comme à l’étranger.
L’éclosion de l’as
C’est dès sa prime jeunesse que son génie s’est dévoilé, mais ce n’était guère le jeu du hasard. En effet, à l’âge de six ans, Slim voyait se "battre" son père et son grand-père maternel… N’ayez crainte…fort heureusement, autour d’un échiquier ! اa l’a intrigué, il a regardé, ça l’a intéressé, il a mordu à l’hameçon…
Et c’est en observant jouer son père de longues parties d’échecs contre son ami de toujours, feu Béchir Kchok, qu’il a appris, petit à petit, à manier les pièces. Mais ce n’était pas tout. Joueur moyen, Si Bouaziz senior s’est investi corps et âme dans l’analyse des parties des grands champions d’échecs à travers laquelle il faisait découvrir à son fils une partie des secrets de ce jeu. Toutefois, la pratique ne suffisait pas à ce père passionné, voire acharné; il fallait compléter la formation de son fils par la théorie, en lui achetant de France des livres spécialisés grâce auxquels ce dernier approfondissait ses connaissances et affinait ses techniques de jeu. On était entre 1955 et 1966. Il devait certainement pressentir que son bout de chou allait devenir le grand maître international que nous connaissons aujourd’hui !
«Mon père m’a inculqué les premiers principes de ce jeu, c’est grâce à lui que j’ai pu participer à des tournois à l’échelle nationale et internationale», se rappelle-t-il, à la fois ému et reconnaissant. C’est ainsi que le petit Slim a commencé à obtenir de bons résultats à l’échelle nationale, suivant les pas des grands. Mais c’est grâce à la fédération tunisienne des échecs, avec à sa tête Ridha Belkadhi, que Si Slim a pu participer à de grands tournois internationaux et représenter dignement la Tunisie, en 1965, aux championnats du monde juniors à Barcelone et aux championnats du monde des étudiants de Roumanie, «avant l’arrivée de Ceaucescu au pouvoir», nous précise-t-il avec un brin d’humour.
La bataille continue
Bien qu’il s’agisse d’un jeu des plus pacifiques, les échecs se rapprochent de la guerre à plusieurs égards. «C’est deux armées de forces égales qui se disputent un champ de bataille», dit Si Slim. D’ailleurs, on a l’impression que ce jeu dépend réellement des forces politiques et militaires. Sinon, comment expliquer que les Soviétiques ont toujours été les meilleurs ? Il ne furent «détrônés» que par… les Américains, en l’occurence un certain Boby Fischer, pendant la guerre froide de surcroît (1972).
Pour Si Slim, la guerre n’est pas près de finir, car les échecs c’est toute sa vie. D’ailleurs, il a gagné plus d’une bataille et dans son palmarès, il compte plus d’un exploit. En effet, douze fois champion de Tunisie, deux fois champion du monde arabe (1987 et 1990), vainqueur du grand tournoi international des pays non alignés (1977) et champion maghrébin individuel (1990), il a également représenté la Tunisie aux championnats du monde individuels en tant que champion d’Afrique (1982). Il a, par ailleurs, été qualifié maintes fois aux championnats du monde et joué plusieurs inter-zonaux et tournois à l’étranger. Rares sont les joueurs qui peuvent se targuer d’avoir fait des matches nuls, les années 70-80, face à des champions du monde en titre, en particulier Siegen, Kasparov, Boris Pasky, Smylov et Michael Tal, et battu, en 1992, Amand… actuel champion du monde !
En 1975, alors qu’il n’avait que 25ans, la FIDE (fédération internationale des échecs) lui accorde le titre de Maître international, et 18 ans après, celui de Grand maître international. Immense fierté pour la Tunisie : Si Slim Bouaziz était le seul arabe et africain à avoir décroché ces titres et arrivé au summum de la hiérarchie échiquéenne internationale. Mais comme le disciple suit son maître, Slim Belkhodja a dernièrement réussi à obtenir ce titre...avec le concours de Bouaziz.
La trilogie échiquéenne
Pour notre grand maître international, il n’est pas question de trancher : le jeu des échecs est à la fois un sport, une science et un art. Pour y réussir, il faut travailler ; car seul le labeur développe l’intelligence. La part d’enseignement y est également très importante. D’ailleurs, Slim Bouaziz est diplômé de l’école soviétique depuis1975 et il veille notamment à publier régulièrement 16 contre16, sa revue spécialisée. Toujours à propos de l’apprentissage, il affirme catégorique : «tout le monde peut apprendre à jouer aux échecs, mais pour émerger à l’échelle internationale il faut avoir en plus le génie et l’étoffe d’un grand joueur». Sans commentaires !
Sport cérébral, le jeu des échecs nécessite, d’après notre as, une grande gymnastique de l’esprit, mais aussi une condition physique conséquente, car «pour pouvoir rester assis, impassible, quatre heures devant l’échiquier, il faut s’être auparavant défoulé physiquement», dit-il. D’après sa longue expérience, il conseille vivement les jeunes de s’adonner aux échecs qui peuvent les aider énormément dans leurs études, et dans leur vie d’une manière générale. En effet, ce jeu développe au plus haut degré la ténacité, la réflexion, le sens tactique et stratégique, le flegme, la volonté, la persévérance, la prudence, la concentration, l’imagination, l’intuition psychologique, et «contribue, dans une certaine mesure, à la formation morale de l’homme qu’il détourne des jeux de hasard et de la délinquance, dans une société moderne pleine de tentations», précise-t-il.
Quant au rayonnement des échecs en Tunisie, Si Slim regrette qu’il ne soit plus comme au passé. Cela revient, selon lui, au développement et la multiplication des nouvelles technologies et des moyens de divertissement, ainsi qu’au rythme effréné de la vie moderne. Que faire alors pour redorer son blason à ce jeu qui fut de grande tradition dans notre pays ? «Il est important que la presse écrite et audiovisuelle s’y intéresse, et il faut cibler les jeunes dès l’enfance, comme me l’a préconisé à maintes reprises le Président de la République. La création d’une dynamique collective à travers l’organisation de tournois et de championnats sur le plan national dans les maisons des jeunes et de la culture ne peut qu’intéresser les jeunes», nous précise-t-il. Homme passionné et généreux, Si Slim souhaite «que la Tunisie retourne sa gloire et son leadership dans le monde arabe et africain, et que les grands champions tunisiens se fassent plus nombreux».
Slim Bouaziz aurait aimé associer la musique à ce jeu, être pianiste, Beethoven ou Mozart, et grand maître international...
Mais n’est-ce pas, que pour garantir le succès, il faut connaître les "échecs"?
Asma A.
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