La femme et l’amour dans la littérature de Tahar Ben Jalloun.
De la journaliste franco tunisienne, Fériel Berraies Guigny. Paris
Fériel Berraies Guigny a rencontré le célèbre écrivain et une discussion s’est nouée sur la place qu’occupe la Femme dans les écrits de l’écrivain et dans la société arabe.
La femme est omniprésente dans la littérature de Ben Jalloun. Elle est la plupart du temps la protagoniste principale de ses œuvres écrites. Femmes s’est intéressée à savoir comment la plume de Ben Jalloun appréhendait le concept de femme et de féminisme dans la vie de tous les jours mais également dans sa fiction littéraire.
Fériel Berraies Guigny a rencontré le célèbre écrivain et une discussion s’est nouée sur la place qu’occupe la Femme dans les écrits de l’écrivain et dans la société arabe.
La femme est omniprésente dans la littérature de Ben Jalloun. Elle est la plupart du temps la protagoniste principale de ses œuvres écrites. Femmes s’est intéressée à savoir comment la plume de Ben Jalloun appréhendait le concept de femme et de féminisme dans la vie de tous les jours mais également dans sa fiction littéraire.
Vous parlez beaucoup des femmes, de l’amour, des rapports entre hommes et femmes dans nos sociétés arabes, pouvez-nous en dire plus ?
TBJ La condition de la femme dans notre société a toujours été une de mes préoccupations d’écrivain. Mon premier roman « Harrouda » raconte le destin de deux femmes, une mère et une autre, sorte de clocharde qui avait hanté notre enfance, une femme mythique, marginale et surtout rebelle. Ensuite, je me suis intéressé au détournement sexuel dans « l’enfant de sable » et « La nuit sacrée », une façon de mieux comprendre par le détour, la condition féminine. A présent, je continue de cerner des personnages de femme en les mettant dans des situations critiques et révélatrices de l’hypocrisie sociale. Je pars du constat suivant : tout ce qui bouge au Maghreb, nous le devons aux femmes.
Comment percevez vous l’amour dans nos sociétés ?
TBJ L’amour au Maghreb ! Voilà un sujet inépuisable, simplement parce que nous le vivons dans une pudeur qui est en fait un voile posé sur nos faiblesses et nos complexités. On ne peut aimer que si l’on s’aime soi-même, pas trop, mais assez pour aller vers les autres et surtout ne pas plier aux contraintes des traditions qui peuvent parfois peser lourdement sur les choix de vie. Aimer c’est être libre, libre d’entrer dans une histoire où la sortie n’est pas garantie. C’est un pari sur la vie dans ce qu’elle a de plus intense et de plus beau.
Que pensez vous des rapports hommes femmes dans la société arabe ?
TBJ Dans notre société, nous n’arrivons pas à avoir des relations de couple équilibrées. Nous ne sommes pas dans la négociation (occidentale), nous sommes dans le rapport de force ! A celui ou à celle qui saura le mieux prendre le dessus sur le conjoint. C’est le résultat de notre héritage lointain, celui de nos ancêtres avant même l’arrivée de l’islam.
On vous nomme le psychosociologue de la littérature, vous avez une analyse incisive de la société, qu’en pensez vous ?
TBJ je ne suis pas un sociologue de la littérature. Je suis un écrivain, c’est-à-dire un témoin de son époque et de sa société ; j’observe, je pense et je raconte. La place de la femme arabe est primordiale, et comme je l’ai dit plus haut, c’est à nos mères que nous devons les progrès que nous connaissons aujourd’hui dans les rapports avec la réalité et même avec le politique. La femme arabe a toujours dû se battre plus que l’homme pour trouver sa place et prendre la parole. C’est pour cela qu’elle est dans le sens du progrès social.
Dans certains de vos écrits, vous avez ouvertement critiqué la fin de règne du Roi Hassan II, vous-même, vous vous êtes exilé en France pour fuir le régime de votre pays natal, à une certaine époque, d’où vous est venu ce courage ?
TBJ Je ne jamais critiqué feu Hassan II de manière frontale ; je pense que le rôle d’un écrivain est de faire passer le message de la critique à travers la littérature ; en 1978 j’ai écrit un roman sur la situation du Maroc de l’époque, et surtout sur le système de la répression, de la torture et du manque de liberté. Ce livre s’appelle « Moha le fou, Moha le sage ». C’est un livre qui avait failli être interdit, mais la censure avait préféré le laisser passer pour ne pas attirer l’attention sur un roman qui raconte des vérités terribles dites par un fou, un homme qui n’a rien à perdre et qui s’exprime sans aucune retenue ou diplomatie. Le roman est étudié aujourd’hui dans les lycées. Quand est paru « Cette aveuglante absence de lumière » qui raconte le calvaire des emmurés du bagne de Tazmamart, mes adversaires m’ont reproché de ne pas avoir publié des textes critiques sur le régime. Ils n’ont qu’à lire « Moha » ; ils verront que tout y est !
Mohamed VI est un roi courageux et dynamique. Il fait bouger le Maroc de manière très intéressante. Je l’estime beaucoup et le soutiens. Il a eu quand même le courage d’ouvrir publiquement les dossiers des années de plomb durant le règne de son père ; il a eu le courage de réformer le code du statut personnel. Il avance et je lui souhaite de réussir. Il a fait qu’au Maroc, on respire mieux et les droits de l’homme sont respectés.
Aujourd’hui que vous êtes français vous est il plus facile de dire certaines vérités ?
TBJ J’ai toujours été critique à l’égard de ma société. Le fait d’être Français n’a rien à voir avec cette attitude.
Que pensez vous de l’exemple tunisien et en l’occurrence, de la femme tunisienne ?
TBJ La femme tunisienne a eu la chance, grâce au président Bourguiba, de jouir de droits qu’aucune femme dans le monde arabe n’avait à l’époque et je dirai même maintenant. La femme tunisienne s’est émancipée et a donné l’exemple pour les marocaines et algériennes. Elle a investi le champ du travail tout en restant féminine, battante et vigilante.
Parlez nous de Siham et de Kenza, les héroïnes de votre dernière œuvre « Partir », sont elles le prototype de la femme combattante arabe ?
TBJ Siham est une battante. Elle lutte pour sa survie, pour une vie digne et résiste aux facilités qu’offre une certaine vie. C’est pour cela que je l’aime. De même le personnage de Kenza, la sœur d’Azel, elle va jusqu’au bout de son combat. Elle ne se résigne pas et mène sa vie avec courage. Femme lumineuse décidée à se battre pour une vie digne. Elle s’en sort mieux que son frère, enfant chéri de sa mère et qui va sombrer dans une profonde déprime parce qu’il a pensé qu’il était assez fort, assez solide pour mener une double vie, une bisexualité.
Que pensez vous du mariage chez nous ?
TBJ Le mariage est un contrat social ; il n’est pas naturel ; il faut se marier pour fonder une famille et construire quelque chose ensemble, mais cela ne va pas de soi. Le mariage mixte est plus excitant, mais il entraîne des problèmes culturels qu’il faut savoir résoudre.
Tahar Ben Jalloun, qui êtes vous dans la vie, on sent parfois que vous vous cachez dans vos personnages, ou que parfois vous les utilisez comme des pretextes ?
TBJ je ne suis pas timide, je suis pudique. Je dis cependant ce que je pense, pas directement, mais je sais faire passer le message. Quant à la sexualité, c’est un domaine qui reste très intime et à ne pas dévoiler dans un entretien. Je n’oserai jamais vous demander de me parler de votre rapport à la sexualité. Ceux qui le font sont des exhibitionnistes.
Dans votre dernier roman vous parlez de la mer, de ses vertus et de ses dangers, on sent que vous pensez aussi à l’image de la maman nourricière, dites nous en plus…
TBJ J’aime la mer alors que je ne sais pas vraiment nager. J’aime la regarder. Non, la mère est plus nourricière que la mer.
Quel Islam enseignez vous à vos enfants ?
TBJ J’ai expliqué l’islam à mes enfants ; je leur ai donné des éléments pour qu’ils comprennent d’où vient cette religion et cette civilisation. Je l’ai fait en père pédagogue. Je ne leur impose rien.
Merci monsieur Ben Jalloun.
Partir dernier roman de Tahar Ben Jalloun.
« La petite Malika, ouvrière dans une usine du port de Tanger, demanda à son voisin Azel, sans travail, de lui montrer ses diplômes.
– Et toi, lui dit-il, que veux-tu faire plus tard ?
– Partir.
– Partir... ce n'est pas un métier !
– Une fois partie, j'aurai un métier.
– Partir où ?
– Partir n'importe où, là-bas par exemple.
– L'Espagne ?
– Oui, l'Espagne, França, j'y habite déjà en rêve.
– Et tu t'y sens bien ?
– Cela dépend des nuits. »
BLANCHE. 272 pages -
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Fériel Berraies Guigny
www.journaliste.montaf.com
feriel.book.fr
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