Tahar BEKRI: Un poète tunisien à Paris, rencontre

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Tahar BEKRI est né en 1951, à Gabès. Il vit et travaille aujourd’hui en France. Considéré comme une des plus belles plumes du Maghreb, son œuvre est universelle et sans frontière, elle a été traduite dans de nombreuses langues dont l’anglais, l’italien, l’espagnol, le russe, etc…
Tahar BEKRI fait partie de ces auteurs qui maîtrisent la langue arabe et la langue de Molière à la perfection. De ses trente années de création, on retrace les thèmes de l’errance, du voyage, la découverte de l’autre et la rencontre, sans oublier la douleur de l’exil. D’un recueil à l’autre, ils nous offre un langage d’amour, empreint de fraternité où tous les peuples pourraient se réunir autour de valeurs communes. Toujours en quête de soi et de l’autre, à travers ses multiples voyages, son écriture reste un plaidoyer pour combattre l’intolérance, une affirmation de l’ouverture au monde.
Chaque deux ans ou presque, avec une régularité, depuis bientôt vingt ans, l’auteur livre un recueil de poésie. Depuis « Le laboureur du soleil » en 1983 et succédant à « L’Horizon incendié » en 2002, son dernier recueil « La brûlante rumeur de la mer », est paru aux Ed. Al Manar à Paris. En juin prochain paraîtra aux mêmes éditions, son recueil « Si la musique doit mourir ».
Sa poésie évoque des traversées spirituelles où s’entremêlent des contrées étrangères ( Espagne, Grèce, Portugal, Italie, etc. ) avec sa terre natale, la Tunisie et son cher Golfe de Gabès) comme s’il était constamment à la recherche d’espace et de distance. Une quête aussi vers l’absolu, vers cet « ailleurs, qui est l’infini ». Et malgré l’éclectisme de sa création, il reste authentique et unique dans sa plume. Avec une douzaine de recueils publiés, en ajoutant les livres d’art à tirage limité, accompagnés de lithographies et de peintures, Tahar Bekri trouve sa place dans le paysage moderniste de la poésie de ces dernières années. Maître de conférence à Paris X, il est spécialiste de littératures du Maghreb qu’il défend corps et âme.
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Son dernier recueil, « La brûlante rumeur de la mer » est la célébration de voyages initiatiques, sur des mers aux milles contrées. Un dialogue avec soi même dans les profondeurs de l’abysse marine. La mer est cet élément fascinant et troublant à la fois, « mer amante et nourricière » comme quand il l’observe sur les rivages de Sidi Bou Saïd ou de Carthage ou quand elle est liée aux souvenirs de l’enfance dans le Golfe de Gabès. Tendre et brûlante. Apparente et intérieure. Une mer qui n’est jamais la même, à la fois tentatrice et séductrice, libre ou traîtresse, quand le fond se dérobe à ses pieds. Tahar BEKRI s’adresse à elle, chaque fois dans un langage différent, qu’il soit dans un port italien ou en Bretagne. La mer et l’émotion qu’elle lui donne est changeante mais jamais indifférente « La mer ne peut trahir ses vagues scélérates »…

Rencontre avec le poète:



Pourquoi « brûlante » et quel est son sens dans votre vision de la mer ?

La poésie ne s’écrit pas de la réponse mais de la quête, de la question. C’est l’interrogation inquiète qui tente de dissiper l’obscurité qui me fait écrire et non la béatitude auto-satisfaite. Si la mer est brûlante, peut-être parce qu’elle porte mon être intérieur comme extérieur, toujours naviguant par mer haute, braise contre cendre, lumière contre ombre, affranchissement contre servitude, mouvement contre identité sédentaire. En dépit de sa magnifique beauté, la mer m’habite comme une rumeur du monde avec ses remous et ses fracas. Souvenirs individuels, vécu intense, émotions conflictuelles, fraternité poétique universelle s’enchevêtrent comme pour tenter d’adoucir tant de sel !

La mer pour vous est-elle femme ?

Pas nécessairement, surtout qu’en arabe la mer est masculin. Comme élément de la nature, elle est chargée de dimension métaphorique. Ici elle est océan, là elle est golfe, bassin mais elle se remplit de tous les fleuves du monde.

Vous con sidérez-vous comme un auteur « naturaliste » ?

Non, pas du tout. Les éléments de la nature sont évoqués dans une poésie allégorique, symbolique, figurée, imagée, jamais comme une peinture pour elle-même.

Le thème de l’exil est récurrent dans votre œuvre, expliquez nous…

Disons qu’il a marqué surtout mes premières œuvres, notamment celles écrites avant 1989 quand je ne rentrais pas en Tunisie. Depuis, il a évolué vers la rencontre positive, la liberté de l’errance, le refus de la fixité et de l’immobilité. Je sens le besoin d’espace et de distance pour répondre à l’appel du large.


Vous êtes un esthète des choses de la vie, vous voyez-vous ainsi ?

La poésie est émotion, langue et partage, écriture et expression profonde de l’être. Elle est aussi connaissance et vision du monde. Depuis la nuit des temps, la poésie qui se respecte, ne cesse de poser les questions fondamentales de la vie, l’amour, la mort. Poser ces mêmes questions, c’est placer le poème au centre de l’humain, lui donner sa signification majeure, sa nécessité et son importance.

Quels sont les messages que vous voulez donner dans votre dernier recueil ?

Je crois à la liberté du lecteur, à son intelligence. J’espère tout simplement que ces poèmes parlent au lecteur, l’émeuvent, le bouleversent, le touchent, l’aident à aller au plus profond de soi, à quitter la surface des choses.

Qui est Tahar Bekri ? Vous sentez-vous écartelé entre deux cultures ? Quelle place a-t-elle la poésie arabe de nos jours ?

Dans l’article que j’ai publié récemment dans « Le Magazine Littéraire », j’ai parlé de dialogue entre les langues, je pourrais ajouter dialogue entre les cultures. Je suis profondément attaché au bilinguisme comme à la diversité culturelle. Pas écartelé donc, au contraire, doublement enrichi et remercie l’enseignement tunisien qui m’a donné cette chance.
Pour ce qui est de la poésie arabe actuelle, elle n’a rien à envier aux grands mouvements de la poésie moderne mondiale. Elle participe amplement et activement avec des voix fortes et audacieuses à la création contemporaine.

On dit que les poètes sont seuls pour écrire, ressentez-vous la solitude des mots ?

Les mots sont de formidables compagnons. Ecrire c’est parler en silence. Les mots sont notre salut. Si la solitude est nécessaire au poète, elle l’est moins à la poésie. Certes, un poème est une bouteille jetée à la mer mais son bonheur est de pouvoir désaltérer un assoiffé !

Votre poésie est-elle le reflet de votre vision de la vie et du monde ?
Oui. Absolument. Comment pourrait-elle autrement ?

Quel est le symbole de la réussite pour un poète ? Etre au top du box office, être invité dans des émissions littéraires ou être étudié par les élèves ?

L’écriture n’est pas une parade ni une course aux honneurs, elle est d’abord une expression forte qui implique l’être dans ce qu’il a de plus profond. Le vrai poème traverse le temps et l’espace. Sa vérité dépasse le conjoncturel et le circonstanciel. Mon bonheur a été parfois quand le poème a rencontré un lecteur anonyme. C’est ce qui est arrivé récemment où une artiste m’a écrit pour me dire qu’elle fait une exposition de livres en verre à partir de l’un de mes recueils, « Les Chapelets d’attache », idem pour un musicien qui a composé une musique et donné un concert à partir de « La Brûlante rumeur de la mer », deux artistes que je ne connais pas et que je n’ai pas encore rencontrés mais qui ont rencontré le poème.


Fériel Berraies Guigny

www.journaliste.montaf.com
feriel.book.fr



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